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Книга «Лилия и Лев» (Le Lis et le Lion) на французском языке, Морис Дрюон – читать онлайн

Роман «Лилия и Лев» (Le Lis et le Lion) на французском языке – читать онлайн, автор книги – Морис Дрюон. Роман «Лилия и Лев» (Le Lis et le Lion) был написан в 1960-м году; он идёт предпоследним по счёту в историческом цикле Мориса Дрюона «Проклятые короли» (открывает этот сборник книга «Железный король» (Le Roi de fer). Роман «Лилия и Лев» (Le Lis et le Lion) описывает события, которые привели к войне между Францией и Англией (эта война позже получила название Столетней).

Другие произведения самых известных писателей всего мира можно читать онлайн в разделе «Книги на французском языке». Для детей будет интересным раздел «Сказки на французском языке».

Для тех, кто самостоятельно изучает французский язык по фильмам, создан раздел «Фильмы на французском языке с субтитрами», а для детей есть раздел «Мультфильмы на французском языке».

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На этой странице выложены первые 2 главы романа, а ссылка на продолжение книги «Лилия и Лев» (Le Lis et le Lion) будет в конце статьи. Теперь переходим к чтению романа «Лилия и Лев» (Le Lis et le Lion) на французском языке.

 

Le Lis et le Lion

 

"La politique consiste dans la volonté de conquête et de conservation du pouvoir; elle exige par conséquent une action de contrainte ou d'illusion sur les esprits... L'esprit politique finit toujours par être contraint de falsifier..."

Paul Valéry

 

PREMIÈRE PARTIE

LES NOUVEAUX ROIS

 

I. LE MARIAGE DE JANVIER

De toutes les paroisses de la ville, en deçà comme au-delà de la rivière, de Saint-Denys, de Saint-Cuthbert, de Saint-Martin-cum-Gregory, de Saint-Mary-Senior et Saint-Mary-Junior, des Shambles, de Tanner Row, de partout, le peuple d'York depuis deux heures montait en files ininterrompues vers le Minster, vers la gigantesque cathédrale, encore inachevée en sa partie occidentale, et qui occupait, haute, allongée, massive, le sommet de la cité.

Dans Stonegate et Deangate, les deux rues tortueuses qui aboutissaient au Yard, la foule était bloquée. Les adolescents perchés sur les bornes n'apercevaient que des têtes, rien que des têtes, un foisonnement de têtes, couvrant entièrement l'esplanade. Bourgeois, marchands, matrones aux nombreuses nichées, infirmes sur leurs béquilles, servantes, commis d'artisans, clercs sous leur capuchon, soldats en chemise de mailles, mendiants en guenilles, étaient confondus ainsi que les brindilles d'un foin bottelé. Les voleurs aux doigts agiles faisaient leurs affaires pour l'année. Aux fenêtres en surplomb apparaissaient des grappes de visages.

Mais était-ce une lumière de midi que ce demi-jour fumeux et mouillé, cette buée froide, cette nuée cotonneuse qui enveloppait l'énorme édifice et la multitude piétinant dans la boue? La foule se tassait pour garder sa propre chaleur.

24 janvier 1328. Devant Monseigneur William de Melton, archevêque d'York et primat d'Angleterre, le roi Edouard III, qui n'avait pas seize ans, épousait Madame Philippa de Hainaut, sa cousine, qui en avait à peine plus de quatorze.

Il ne restait pas une seule place dans la cathédrale réservée aux dignitaires du royaume, aux membres du haut clergé, à ceux du Parlement, aux cinq cents chevaliers invités, aux cent nobles écossais en robes quadrillées venus pour ratifier, par la même occasion, le traité de paix. Tout à l'heure serait célébrée la messe solennelle, chantée par cent vingt chantres.

Mais dans l'instant, la première partie de la cérémonie, le mariage proprement dit, se déroulait devant le portail sud, à l'extérieur de l'église et à la vue du peuple, selon le rite ancien et les coutumes particulières à l'archidiocèse d'York.

La brume marquait de traînées humides les velours rouges du dais dressé contre le porche, se condensait sur les mitres des évêques, collait les fourrures sur les épaules de la famille royale assemblée autour du jeune couple.

- Hère I take thee, Philippa, îo my wedded wife, to hâve and to hold at bed and aï board... Ici, je te prends, Philippa, pour ma femme épousée, pour t'avoir et garder en mon lit et à mon logis...

Surgie de ces lèvres tendres, de ce visage imberbe, la voix du roi surprit par sa force, sa netteté et l'intensité de sa vibration. La reine mère Isabelle en fut saisie, et messire Jean de Hainaut, oncle de la mariée, également, et tous les assistants des premiers rangs parmi lesquels les comtes Edmond de Kent et de Norfolk, et le comte de Lancastre au Tors-Col, chef du Conseil de régence et tuteur du roi.

- ... for fairer for fouler, for better for worse, in sickness and in health... Pour le beau et le laid, le meilleur et le pire, dans la maladie et dans la santé...

Les chuchotements dans la foule cessaient progressivement. Le silence s'étendait comme une onde circulaire et la résonance de la jeune voix royale se propageait par-dessus les milliers de têtes, audible presque jusqu'au bout de la place. Le roi prononçait lentement la longue formule du vou qu'il avait apprise la veille; mais on eût dit qu'il l'inventait, tant il en détachait les termes, tant il les pensait pour les charger de leur sens le plus profond et le plus grave. C'était comme les mots d'une prière destinée à n'être dite qu'une fois et pour la vie entière.

Une âme d'adulte, d'homme sûr de son engagement à la face du Ciel, de prince conscient de son rôle entre son peuple et Dieu, s'exprimait par cette bouche adolescente. Le nouveau roi prenait ses parents, ses proches, ses grands officiers, ses barons, ses prélats, la population d'York et toute l'Angleterre, pour témoins de l'amour qu'il jurait à Madame Philippa.

Les prophètes brûlés du zèle de Dieu, les meneurs de nations soutenus d'une conviction unique, savent imposer aux foules la contagion de leur foi. L'amour publiquement affirmé possède aussi cette puissance, provoque cette adhésion de tous à l'émotion d'un seul.

II n'était pas une femme dans l'assistance, et quel que fût son âge, pas une mariée récente, pas une épouse trompée, pas une veuve, pas une pucelle, pas une aïeule, qui ne se sentît en cet instant-là à la place de la nouvelle épousée; pas un homme qui ne s'identifiât au jeune roi. Edouard III s'unissait à tout ce qu'il y avait de féminin dans son peuple ; et c'était son royaume tout entier qui choisissait Philippa pour compagne. Tous les rêves de la jeunesse, toutes les désillusions de la maturité, tous les regrets de la vieillesse se dirigeaient vers eux comme autant d'offrandes jaillies de chaque cour. Ce soir, dans les rues sombres, les yeux des fiancés illumineraient la nuit, et même de vieux couples désunis se reprendraient la main après souper.

Si depuis le lointain des temps les peuples se pressent aux mariages des princes, c'est pour vivre ainsi par délégation un bonheur qui, d'être exposé si haut, semble parfait.

- ... till death us do part... jusqu'à ce que la mort nous sépare...

Les gorges se nouèrent; la place exhala un vaste soupir de surprise triste et presque de réprobation. Non, il ne fallait pas parler de mort en cette minute; il n'était pas possible que ces deux jeunes êtres eussent à subir le sort commun, pas admissible qu'ils fussent mortels.

- ... and thereto Iplight thee my troth... et pour tout ceci je t'engage ma foi.

Le jeune roi sentait respirer la multitude, mais ne la regardait pas. Seo yeux bleu pâle, presque gris, aux longs cils pour une fois relevés, ne quittaient pas la petite fille roussote et ronde, empaquetée dans ses velours et ses voiles, à laquelle son vou s'adressait.

Car Madame Philippa ne ressemblait en rien à une princesse de conte, et elle n'était même pas très jolie. Elle présentait les traits grassouillets des Hainaut, un nez court, un cou bref, un visage couvert de taches de son. Elle n'avait pas de grâce particulière dans la tournure, mais au moins elle était simple et ne cherchait pas à affecter une attitude de majesté qui ne lui eût guère convenu. Privée d'ornements royaux, elle eût pu être confondue avec n'importe quelle fille rousse de son âge; ses semblables se rencontraient par centaines dans toutes les nations du Nord. Et ceci précisément renforçait la tendresse de la foule à son égard. Elle était désignée par le sort et par Dieu, mais non différente, en essence, des femmes sur lesquelles elle allait régner. Toutes les rousses un peu grasses se sentaient promues et honorées.

Émue, elle-même, à en trembler, elle plissait les paupières comme si elle ne pouvait soutenir l'intensité du regard de son époux. Tout ce qui lui advenait était trop beau. Tant de couronnes autour d'elle, tant de mitres, et ces chevaliers et ces dames qu'elle apercevait à l'intérieur de la cathédrale, rangés derrière les cierges comme les élus en Paradis, et tout ce peuple autour... Reine, elle allait être reine, et choisie par amour!

Ah! combien elle allait le choyer, le servir, l'adorer, ce joli prince blond, aux longs cils, aux mains fines, arrivé par miracle vingt mois auparavant à Valenciennes, accompagnant une mère en exil qui venait quérir aide et refuge ! Leurs parents les avaient envoyés jouer dans le verger, avec les autres enfants; il s'était épris d'elle, et elle de lui. A présent il était roi et ne l'avait pas oubliée. Avec quel bonheur elle lui vouait sa vie! Elle craignait seulement de n'être pas assez belle pour lui plaire toujours, ni assez instruite pour le pouvoir bien seconder.

- Offrez, Madame, votre main droite, - lui dit l'archevêque-primat.

Aussitôt, Philippa tendit hors de la manche de velours une petite main potelée, et la présenta fermement, paume en avant et doigts ouverts.

Edouard eut un regard émerveillé pour cette étoile rosé qui se donnait à lui.

L'archevêque prit, sur un plateau tenu par un second prélat, l'anneau d'or plat, incrusté de rubis, qu'il venait de bénir, et le remit au roi. L'anneau était mouillé, comme tout ce qu'on touchait dans cette brume. Puis l'archevêque, doucement, rapprocha les mains des époux.

- Au nom du Père, prononça Edouard en posant l'anneau, sans l'engager, sur l'extrémité du pouce de Philippa. Au nom du Fils... du Saint-Esprit... - dit-il en répétant le geste sur l'index, puis sur le médius.

Enfin il glissa la bague au quatrième doigt en disant:

- Amen!

Elle était sa femme.

Comme toute mère qui marie son fils, la reine Isabelle avait les larmes aux yeux. Elle s'efforçait de prier Dieu d'accorder à son enfant toutes les félicités, mais pensait surtout à elle-même, et souffrait. Les jours écoulés l'avaient amenée à ce point où elle cessait d'être la première dans le cour de son fils et dans sa maison. Non, certes, qu'elle eût, ni pour l'autorité sur la cour, ni pour la comparaison de beauté, grand-chose à redouter de cette petite pyramide de velours et de broderies que le destin lui allouait comme belle-fille.

Droite, mince et dorée, avec ses belles tresses relevées de chaque côté du visage clair, Isabelle à trente-six ans en paraissait à peine trente. Son miroir longuement consulté le matin même, tandis qu'elle coiffait sa couronne pour la cérémonie, l'avait rassurée. Et pourtant, à partir de ce jour, elle cessait d'être la reine tout court pour devenir la reine-mère. Comment cela s'était-il fait si vite? Comment vingt ans de vie, et traversés de tant d'orages, s'étaient-ils dissous de la sorte?

Elle pensait à son propre mariage, il y avait tout juste vingt ans, une fin de janvier comme aujourd'hui, et dans la brume également, à Boulogne en France. Elle aussi s'était mariée en croyant au bonheur, elle aussi avait prononcé ses voux d'épousailles du plus profond de son cour. Savait-elle alors à qui on l'unissait, pour satisfaire aux intérêts des royaumes? Savait-elle qu'en paiement de l'amour et du dévouement qu'elle apportait, elle ne recevrait qu'humiliations, haine et mépris, qu'elle se verrait supplantée dans la couche de son époux non pas même par des maîtresses mais par des hommes avides et scandaleux, que sa dot serait pillée, ses biens confisqués, qu'elle devrait fuir en exil pour sauver sa vie menacée et lever une armée pour abattre celui-là même qui lui avait glissé au doigt l'anneau nuptial?

Ah! la jeune Philippa avait bien de la chance, elle qui était non seulement épousée mais aimée!

Seules les premières unions peuvent être pleinement pures et pleinement heureuses. Rien ne les remplace, si elles sont manquées. Les secondes amours n'atteignent jamais à cette perfection limpide; même solides jusqu'à ressembler au roc, il court dans leur marbre des veines d'une autre couleur qui sont comme le sang séché du passé.

La reine Isabelle tourna les yeux vers Roger Mortimer, baron de Wigmore, son amant, l'homme qui, grâce à elle autant qu'à lui-même, gouvernait en maître l'Angleterre au nom du jeune roi. Sourcils joints, les traits sévères, les bras croisés sur son manteau somptueux, il la regardait, dans la même seconde, sans bonté.

"II devine ce que je pense, - se dit-elle. Mais quel homme est-il donc pour donner l'impression qu'on commet une faute dès qu'on cesse un moment de ne songer qu'à lui?"

Elle connaissait son caractère ombrageux, et lui sourit pour l'apaiser. Que voulait-il de plus que ce qu'il possédait? Ils vivaient comme s'ils eussent été époux et femme, bien qu'elle fût reine, bien qu'il fût marié, et le royaume assistait à leurs publiques amours. Elle avait agi de sorte qu'il eût le contrôle entier du pouvoir. Mortimer nommait ses créatures à tous les emplois; il s'était fait donner tous les fiefs des anciens favoris d'Edouard II et le Conseil de régence ne faisait qu'entériner ses volontés. Mortimer avait même obtenu qu'elle consentît à l'exécution de son conjoint déchu. Elle savait qu'à cause de lui certains à présent l'appelaient la Louve de France! Pouvait-il empêcher qu'elle pensât, un jour de noces, à son époux assassiné, surtout lorsque l'exécuteur était là, en la personne de John Maltravers, promu récemment sénéchal d'Angleterre, et dont la longue face sinistre apparaissait parmi celles des premiers seigneurs, comme pour rappeler le crime?

Isabelle n'était pas la seule que cette présence indisposât. John Maltravers, gendre de Mortimer, avait été le gardien du roi déchu; sa soudaine élévation à la charge de sénéchal dénonçait trop clairement les services dont on l'avait ainsi payé. Officiellement, Edouard II était décédé par trépas naturel. Mais qui donc, à la cour, acceptait cette fable?

Le comte de Kent, le demi-frère du mort, se pencha vers son cousin Henry Tors-Col et lui chuchota:

- Il semble que le régicide, à présent, donne droit de se pousser au rang de la famille.

Edmond de Kent grelottait. Il trouvait la cérémonie trop longue, le rituel d'York trop compliqué. Pourquoi n'avoir pas célébré le mariage dans la chapelle de la tour de Londres, ou de quelque château royal, au lieu d'en faire une occasion de kermesse populaire? La foule lui causait un malaise. Et la vue de Maltravers, de surcroît... N'était-il pas indécent que l'homme qui avait expédié le père fût présent, en si belle place, aux noces du fils?

Tors-Col, la tête couchée sur l'épaule droite, infirmité à laquelle il devait son surnom, murmura:

- C'est par le péché qu'on entre le plus aisément dans notre maison. Notre ami, le premier, nous en offre la preuve.

Ce "notre ami" désignait Mortimer envers qui les sentiments des Anglais étaient bien changés depuis qu'il avait débarqué, dix-huit mois plus tôt, commandant l'armée de la reine et accueilli en libérateur.

"Après tout, la main qui obéit n'est pas plus laide que la tête qui commande, pensait Tors-Col. Et Mortimer est plus coupable assurément, et Isabelle avec lui, que Maltravers. Mais nous sommes tous un peu coupables; nous avons tous pesé sur le fer lorsque nous avons destitué Edouard II. Cela ne pouvait finir autrement."

Cependant l'archevêque présentait au jeune roi trois pièces d'or frappées sur leur face aux armes d'Angleterre et de Hainaut, et chargées au revers d'un semis de rosés, les fleurs emblématiques du bonheur conjugal. Ces pièces étaient les deniers pour épouser, symbole du douaire en revenus, terres et châteaux que le marié constituait à sa femme. Les donations avaient été bien écrites et précisées, ce qui rassurait un peu messire Jean de Hainaut, l'oncle, auquel on devait toujours quinze mille livres pour la solde de ses chevaliers pendant la campagne d'Ecosse.

- Prosternez-vous, Madame, aux pieds de votre époux, pour recevoir les deniers, - dit l'archevêque à la mariée.

Tous les habitants d'York attendaient cet instant, curieux de savoir si leur rituel local serait respecté jusqu'au bout, si ce qui valait pour toute sujette valait aussi pour une reine.

Or nul n'avait prévu que Madame Philippa, non seulement s'agenouillerait, mais encore, dans un élan d'amour et de gratitude, enserrerait à deux bras les jambes de son époux, et baiserait les genoux de celui qui la faisait reine. Elle était donc, cette ronde Flamande, capable d'inventer sous l'impulsion du cour.

La foule lui adressa une immense ovation.

- Je crois qu'ils seront bien heureux, - dit Tors-Col à Jean de Hainaut.

- Le peuple va l'aimer, - dit Isabelle à Mortimer qui venait de s'approcher d'elle.

La reine mère ressentait comme une blessure; cette ovation n'était pas pour elle. "C'est Philippa la reine à présent, pensait-elle. Mon temps ici est achevé. Oui, mais maintenant, peut-être, je vais avoir la France...".

Car un chevaucheur à la fleur de lis, une semaine plus tôt, avait galopé jusqu'à York pour lui apprendre que son dernier frère, le roi Charles IV de France, se mourait.

 

II. TRAVAUX POUR UNE COURONNE

Le roi Charles IV avait dû s'aliter le jour de Noël. A l'Epiphanie, les mires et physiciens, déjà, le déclaraient perdu. La cause de cette fièvre qui le consumait, de cette toux déchirante qui secouait sa poitrine amaigrie, de ces crachats sanglants? Les mires levaient les épaules d'un geste d'impuissance. La malédiction, voyons! la malédiction qui accablait la descendance de Philippe le Bel. Les remèdes sont inopérants contre une malédiction. Et la cour et le peuple partageaient cette certitude.

Louis Hutin était mort à vingt-sept ans, par manouvre criminelle. Philippe le Long était trépassé à vingt-neuf ans, d'avoir bu en Poitou l'eau de puits empoisonnés. Charles IV avait résisté jusqu'à trente-trois ans; il atteignait la limite. Il est bien connu que les maudits ne peuvent pas dépasser l'âge du Christ!

- À nous, mon frère, de nous saisir à présent du gouvernement du royaume, et de le tenir de main ferme, avait dit le comte de Beaumont, Robert d'Artois, à son cousin et beau-frère Philippe de Valois. Et cette fois, avait-il ajouté, nous ne nous laisserons pas gagner à la course par ma tante Mahaut. D'ailleurs elle n'a plus de gendre à pousser.

Ces deux-là se montraient en belle santé. Robert d'Artois, à quarante et un ans, était toujours le même colosse qui devait se baisser pour franchir les portes et pouvait terrasser un bouf en le prenant par les cornes. Maître en procédure, en chicane, en intrigues, il avait assez prouvé depuis vingt ans son savoir-faire, et par les soulèvements d'Artois, et dans le déclenchement de la guerre de Guyenne, et en bien d'autres occasions. La découverte du scandale de la tour de Nesle était un peu le fruit de ses ouvres. Si la reine Isabelle et son amant Lord Mortimer avaient pu réunir une armée en Hainaut, soulever l'Angleterre et renverser Edouard II, c'était en partie grâce à lui. Et il ne se sentait pas gêné d'avoir sur les mains le sang de Marguerite de Bourgogne. Au Conseil du faible Charles IV, sa voix, dans les récentes années, s'élevait plus fermement que celle du souverain.

Philippe de Valois, de six ans son cadet, ne possédait pas tant de génie. Mais haut et fort, la poitrine large, la démarche noble, et faisant presque figure de géant quand Robert n'était pas à côté de lui, il avait une belle prestance de chevalier qui prévenait en sa faveur. Et surtout il bénéficiait du souvenir laissé par son père, le fameux Charles de Valois, le prince le plus turbulent, le plus aventureux de son temps, coureur de trônes fantômes et de croisades manquées, mais grand homme de guerre, et dont il s'efforçait de copier la prodigalité et la magnificence.

Si Philippe de Valois jusqu'à ce jour n'avait pas encore étonné l'Europe par ses talents, on lui accordait toutefois confiance. Il brillait en tournois, qui étaient sa passion; l'ardeur qu'il y déployait n'était pas chose négligeable.

- Philippe, tu seras régent, je m'y engage, disait Robert d'Artois. Régent, et peut-être roi, si Dieu le veut... c'est-à-dire si dans deux mois la reine, ma nièce, qui est déjà grosse jusqu'au menton, n'accouche pas d'un fils. Pauvre cousin Charles! Il ne verra pas cet enfant-là qu'il souhaitait tant. Et même si ce doit être un garçon, tu n'en exerceras pas moins la régence pour vingt ans. Or, en vingt ans...

Il prolongeait sa pensée d'un grand geste du bras qui en appelait à tous les hasards possibles, à la mortalité infantile, aux accidents de chasse, aux desseins impénétrables de la Providence.

- Et toi, loyal comme je te sais, - continuait le géant, tu agiras pour qu'on me restitue enfin mon comté d'Artois que Mahaut la voleuse, l'empoisonneuse, détient injustement, ainsi que la pairie qui s'y rattache. Songe que je ne suis pas même pair! N'est-ce pas bouffon? J'en ai honte pour ta sour qui est mon épouse.

Philippe avait abaissé par deux fois son grand nez charnu, et fermé les paupières d'un air entendu.

- Robert, je te rendrai bonne justice, si je suis mis en état de l'administrer. Tu peux compter sur mon soutien.

Les meilleures amitiés sont celles qui se fondent sur des intérêts communs et la construction d'un même avenir.

Robert d'Artois, auquel aucune tâche ne répugnait, se chargea d'aller à Vincennes faire entendre à Charles le Bel que ses jours étaient comptés et qu'il avait quelques dispositions à prendre, comme de convoquer les pairs de toute urgence, et de leur recommander Philippe de Valois pour assurer la régence. Et même, afin de mieux éclairer leur choix, pourquoi ne pas confier à Philippe, dès à présent, le gouvernement du royaume, en lui déléguant les pouvoirs?

- Nous sommes tous mortels, tous, mon bon cousin, - disait Robert, éclatant de santé, et qui faisait trembler par son pas puissant le lit de l'agonisant.

Charles IV n'était guère en capacité de refuser, et trouvait même du soulagement à ce qu'on le délivrât de tout souci. Il ne songeait qu'à retenir sa vie qui lui fuyait entre les dents.

Philippe de Valois reçut donc la délégation royale et lança l'ordre de convocation des pairs.

Robert d'Artois, aussitôt, se mit en campagne. D'abord auprès de son neveu d'Évreux, garçon jeune encore, vingt et un ans, de gentille tournure, mais assez peu entreprenant. Il était marié à la fille de Marguerite de Bourgogne, Jeanne la Petite comme on continuait de l'appeler bien qu'elle eût à présent dix-sept ans, et qui avait été écartée de la succession de France à la mort du Hutin.

La loi salique, en fait, avait été inventée à son propos et afin de l'éliminer, ceci d'autant plus aisément que l'inconduite de sa mère jetait un doute sérieux sur sa légitimité. En compensation, et pour apaiser la maison de Bourgogne, on avait reconnu à Jeanne la Petite l'héritage de Navarre. Mais on s'était peu hâté de tenir cette promesse, et les deux derniers rois de France avaient gardé le titre de roi de Navarre.

L'occasion était belle, pour Philippe d'Évreux, s'il avait ressemblé tant soit peu à son oncle Robert d'Artois, d'ouvrir là-dessus une énorme chicane, de contester la loi successorale et de réclamer au nom de sa femme les deux couronnes.

Mais Robert, usant de son ascendant, eut vite fait de rouler comme poisson en pâte ce compétiteur possible.

- Tu auras cette Navarre qui t'est due, mon bon neveu, aussitôt que mon beau-frère Valois sera régent. J'en fais une affaire de famille, que j'ai posée en condition à Philippe pour lui porter mon appui. Roi de Navarre tu vas être! C'est une couronne qui n'est pas à dédaigner et que je te conseille, pour ma part, de te mettre au plus tôt sur la tête, avant qu'on ne te la vienne discuter. Car, parlons bas, la petite Jeanne, ton épouse, serait mieux assurée de son droit si sa mère avait eu la cuisse moins folâtre! Dans cette grande ruée qui va se faire, il faut te ménager des soutiens: tu as le nôtre. Et ne t'avise pas d'écouter ton oncle de Bourgogne; il ne te conduira, pour son propre service, qu'à commettre des sottises. Philippe régent, fonde-toi là-dessus!

Ainsi, moyennent l'abandon définitif de la Navarre, Philippe de Valois disposait déjà, outre la sienne propre, de deux voix.

Louis de Bourbon venait d'être créé duc quelques semaines auparavant en même temps qu'il avait reçu en apanage le comté de la Marche3. Il était l'aîné de la famille. Dans le cas d'une trop grande confusion autour de la régence, sa qualité de petit-fils de Saint Louis pouvait lui servir à rallier plusieurs suffrages. Sa décision, de toute manière, pèserait sur le Conseil des pairs. Or ce boiteux était lâche. Entrer en rivalité avec le puissant parti Valois eût été une entreprise digne d'un homme de plus de courage. En outre, son fils avait épousé une sour de Philippe de Valois.

Robert laissa comprendre à Louis de Bourbon que plus vite il se rallierait, plus vite lui seraient garantis les avantages en terres et en titres qu'il avait accumulés au cours du règne précédent. Trois voix.

Le duc de Bretagne, à peine arrivé de Vannes, et ses coffres pas encore déballés, vit Robert d'Artois se dresser en son hôtel.

- Nous appuyons Philippe, n'est-ce pas? Tu es bien d'accord... Avec Philippe, si pieux, si loyal, nous sommes certains d'avoir un bon roi... je veux dire un bon régent.

Jean de Bretagne ne pouvait que se déclarer pour Philippe de Valois. N'avait-il pas épousé une sour de Philippe, Isabelle, morte à l'âge de huit ans il est vrai, mais les liens d'affection n'en subsistaient pas moins. Robert, pour renforcer sa démarche, avait amené sa mère, Blanche de Bretagne, consanguine du duc, toute vieille, toute petite, toute ridée, et parfaitement dénuée de pensée politique, mais qui opinait à tout ce que voulait son géant de fils. Or Jean de Bretagne s'occupait davantage des affaires de son duché que de celles de France. Eh bien! oui, Philippe, pourquoi pas, puisque tout le monde semblait si empressé à le désigner!

Cela devenait en quelque sorte la campagne des beaux-frères. On appela en renfort Guy de Châtillon, comte de Blois, qui n'était nullement pair, et même le comte Guillaume de Hainaut, simplement parce qu'ils avaient épousé deux autres sours de Philippe. Le grand parentage Valois commençait à apparaître déjà comme la vraie famille de France.

Guillaume de Hainaut mariait en ce moment sa fille au jeune roi d'Angleterre; soit, on n'y voyait pas d'obstacle, et même on y trouverait peut-être un jour des avantages. Mais il avait été bien avisé de se faire représenter aux noces par son frère Jean plutôt que de s'y rendre lui-même, car c'était ici, à Paris, qu'allaient se produire les événements importants. Guillaume le Bon ne souhaitait-il pas depuis longtemps que la terre de Blaton, patrimoine de la couronne de France, enclavée dans ses États, lui fût cédée? On lui donnerait Blaton, pour presque rien, un rachat symbolique, si Philippe occupait la régence.

Quant à Guy de Blois, il était l'un des derniers barons à avoir conservé le droit de battre monnaie. Malheureusement, et malgré ce droit, il manquait d'argent, et les dettes l'étranglaient.

- Guy, mon aimé parent, ton droit de battage te sera racheté. Ce sera notre premier soin.

Robert, en peu de jours, avait accompli un solide travail.

- Tu vois, Philippe, tu vois, disait-il à son candidat, combien les mariages arrangés par ton père nous aident à présent. On dit qu'abondance de filles est grand-peine pour les familles; ce sage homme, que Dieu l'ait en sa garde, a bien su se servir de toutes tes sours.

- Oui, mais il faudra achever de payer les dots, répondait Philippe. Plusieurs n'ont été versées qu'au quart...

- A commencer par celle de la chère Jeanne, mon épouse, - rappelait Robert d'Artois. Mais dès lors que nous aurons tout pouvoir sur le Trésor...

Plus difficile à rallier fut le comte de Flandre, Louis de Crécy et de Nevers. Car lui n'était pas un beau-frère et demandait autre chose qu'une terre ou de l'argent. Il voulait la reconquête de son comté dont ses sujets l'avaient chassé. Pour le convaincre, il fallut lui promettre une guerre.

- Louis, mon cousin, Flandre vous sera rendue, et par les armes, nous vous en faisons serment!

Là-dessus, Robert, qui pensait à tout, de courir de nouveau à Vincennes pour presser Charles IV de parfaire son testament.

Charles n'était plus qu'une ombre de roi, crachant ce qui lui restait de poumons.

Or, tout moribond qu'il fût, il se souvint à ce moment-là du projet de croisade que son oncle Charles de Valois lui avait naguère mis en tête. Projet d'année en année différé; les subsides de l'Église avaient été employés à d'autres fins; et puis Charles de Valois était mort... Dans le mal qui le détruisait, Charles IV ne devait-il pas reconnaître un châtiment pour cette promesse non tenue, ce vou non accompli? Le sang de poitrine dont il tachait ses draps lui rappelait la croix rouge qu'il n'avait pas cousue sur son manteau.

Alors, dans l'espérance d'amadouer le Ciel et de négocier quelque survie, il fit ajouter à son testament ses volontés concernant la Terre sainte... "car mon intention est d'y aller de mon vivant, dicta-t-il, et, si de mon vivant ne se peut, que cinquante mille livres soient données au premier passage général qui se fera."

On ne lui en demandait pas tant, ni de grever d'une semblable hypothèque la fortune royale dont on avait besoin pour de plus pressants usages. Robert enrageait. Ce niais de Charles, jusqu'au bout, aurait de ces sots entêtements!

On lui demandait simplement de léguer trois mille livres au chancelier Jean de Cherchemont, autant au maréchal de Trye et à messire Miles de Noyers, président de la Chambre aux Comptes, pour leurs loyaux services rendus à la couronne... et parce que leurs fonctions les faisaient siéger de droit au Conseil des pairs. - Et le connétable? murmura le roi agonisant. Robert haussa les épaules. Le connétable Gaucher de Châtillon avait soixante-dix-huit ans, il était sourd comme une marmite, et possédait des biens à ne savoir qu'en faire. Ce n'était pas à son âge que se développait l'appétit de l'or ! On raya le connétable.

En revanche, Robert, avec beaucoup d'attention, aida Charles IV à composer la liste des exécuteurs testamentaires, car cette liste constituait comme un ordre de préséance parmi les grands du royaume: le comte Philippe de Valois en tête, le comte Philippe d'Évreux, et puis lui-même, Robert d'Artois, comte de Beaumont-le-Roger.

Cela fait, on s'occupa de rallier les pairs ecclésiastiques.

Guillaume de Trye, duc-archevêque de Reims, avait été précepteur de Philippe de Valois ; et puis Robert venait de faire coucher son frère, le maréchal, sur le testament royal, pour trois mille livres qu'on sut rendre tintantes. On n'aurait pas de mécomptes de ce côté-là.

Le duc-archevêque de Langres était acquis de longue date aux Valois; et tout également leur était dévoué le comte-évêque de Beauvais, Jean de Marigny, dernier frère survivant du grand Enguer-rand. Vieilles trahisons, vieux remords, services mutuels avaient tissé de solides liens.

Restaient les évêques de Châlons, de Laon et de Noyon; ces derniers, on le savait, feraient corps avec le duc Eudes de Bourgogne.

- Ah! pour le Bourguignon, - s'écria Robert d'Artois en écartant les bras, cela, Philippe, c'est ton affaire. Je ne peux rien auprès de lui, nous sommes lance à lance. Mais tu as épousé sa sour; tu dois bien avoir quelque action sur lui.

Eudes IV n'était pas un aigle de gouvernement. Toutefois il se rappelait les leçons de sa défunte mère, la duchesse Agnès, la dernière fille de Saint Louis, et comment lui-même, pour reconnaître la régence de Philippe le Long, avait gagné le rattachement de la Bourgogne-comté à la Bourgogne-duché. Eudes en cette occasion avait épousé la petite-fille de Mahaut d'Artois, de quatorze ans plus jeune que lui, ce dont il ne se plaignait pas maintenant qu'elle était nubile.

La question de l'héritage d'Artois fut la première qu'il posa lorsque, arrivant de Dijon, il s'enferma avec Philippe de Valois.

- II est bien entendu qu'au jour du trépas de Mahaut, le comté d'Artois ira à sa fille, la reine Jeanne la Veuve, pour ensuite revenir à la duchesse mon épouse? J'insiste fort sur ce point, mon cousin, car je connais les prétentions de Robert sur l'Artois; il les a assez clamées!

Ces grands princes ne mettaient pas moins de défiante âpreté à défendre leurs droits d'héritage sur les quartiers du royaume que des brus à se disputer les gobelets et les draps dans une succession de pauvres.

- Jugements par deux fois ont été rendus qui ont attribué l'Artois à la comtesse Mahaut, répondit Philippe de Valois. Si aucun fait nouveau ne vient étayer les requêtes de Robert, l'Artois passera à votre épouse, mon frère.

- Vous n'y voyez point d'empêchement?

- Je n'en vois mie.

Ainsi le loyal Valois, le preux chevalier, le héros de tournoi, avait donné à ses deux cousins, à ses deux beaux-frères, deux promesses contradictoires.

Honnête toutefois dans sa duplicité, il rapporta à Robert d'Artois son entretien avec Eudes, et Robert l'approuva pleinement.

- L'important, - dit ce dernier, est d'obtenir la voix du Bourguignon, et peu importe qu'il s'ancre dans la tête un droit qu'il n'a pas. Des faits nouveaux, lui as-tu dit? Eh bien, nous en produirons, mon frère, et je ne te ferai pas manquer à ta parole. Allons, tout est au mieux.

Il ne restait plus qu'à attendre, ultime formalité, le décès du roi, en souhaitant qu'il se produisît assez vite, pendant que cette belle conjonction de princes était réunie autour de Philippe de Valois.

Le dernier fils du Roi de fer rendit l'âme la veille de la Chandeleur, et la nouvelle du deuil royal se répandit dans Paris, le lendemain matin, en même temps que l'odeur des crêpes chaudes.

Tout semblait devoir se dérouler selon le plan parfaitement agencé par Robert d'Artois, quand à l'aube même du jour fixé pour le Conseil des pairs, arriva un évêque anglais, au visage chafouin, aux yeux fatigués, sortant d'une litière couverte de boue, et qui venait représenter les droits de la reine Isabelle.

 

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