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Книга «Цитадель» (Citadelle) на французском языке, Антуан де Сент-Экзюпери – читать онлайн

Книга «Цитадель» (Citadelle) на французском языке – читать онлайн, автор – Антуан де Сент-Экзюпери. По своему жанру «Цитадель» (Citadelle) – это философская притча, литературное отображение мировоззрения автора на основе своего жизненного опыта и влияния различных философских учений и религий. Над книгой «Цитадель» (Citadelle) Антуан де Сент-Экзюпери работал 8 лет, и она так и не была закончена по причине трагической смерти автора в авиакатастрофе в 1944-м году. «Цитадель» (Citadelle) была издана сначала в 1958-м году (первое издание), а затем – в 1959-м, в отредактированном виде. Второй вариант считается более полным и точным, и позже именно этот вариант бы переведён на многие самые распространённые языки мира (хотя в некоторых языках сущестует несколько вариантов перевода).

Остальные книги, которые написал Антуан де Сент-Экзюпери, а также произведения других самых известных писателей всего мира, можно читать онлайн в разделе «Книги на французском». Для детей будет интересным раздел «Сказки на французском языке».

Для тех, кто самостоятельно изучает французский язык по фильмам, создан раздел «Фильмы на французском языке», а для детей есть раздел «Мультфильмы на французском языке».

Для тех, кто хочет учить французский не только самостоятельно по фильмам и книгам, но и с опытным преподавателем, есть информация на странице «Французский по скайпу».

 

Теперь переходим к чтению книги «Цитадель» (Citadelle) на французском языке, автор – Антуан де Сент-Экзюпери. На этой странице выложена первые 2 главы книги, в конце страницы будет ссылка на продолжение философской притчи «Цитадель» (Citadelle).

 

Citadelle

 

I

Car j’ai vu trop souvent la pitié s’égarer. Mais nous qui gouvernons les hommes, nous avons appris à sonder leurs coeurs afin de n’accorder notre sollicitude qu’à l’objet digne d’égards. Mais cette pitié, je la refuse aux blessures ostentatoires qui tourmentent le coeur des femmes, comme aux moribonds, et comme aux morts. Et je sais pourquoi.

Il fut un âge de ma jeunesse où j’eus pitié des mendiants et de leurs ulcères. Je louais pour eux des guérisseurs et j’achetais des baumes. Les caravanes me ramenaient d’une île des onguents à base d’or qui recousent la peau sur la chair. Ainsi ai-je agi jusqu’au jour où j’ai compris qu’ils tenaient comme luxe rare à leur puanteur, les ayant surpris se grattant et s’humectant de fiente comme celui-là qui fume une terre pour en arracher la fleur pourpre. Ils se montraient l’un à l’autre leur pourriture avec orgueil, tirant vanité des offrandes reçues, car celui qui gagnait le plus s’égalait en soi-même au grand prêtre qui expose la plus belle idole. S’ils consentaient à consulter mon médecin, c’était dans l’espoir que leur chancre le surprendrait par sa pestilence et par son ampleur. Et ils agitaient leurs moignons pour tenir de la place dans le monde. Ainsi acceptaient-ils les soins comme un hommage, offrant leurs membres aux ablutions qui les flattaient, mais à peine le mal était-il effacé qu’ils se découvraient sans importance, ne nourrissant plus rien de soi, comme inutiles, et qu’ils s’occupaient désormais de ressusciter d’abord cet ulcère qui vivait d’eux. Et, une fois bien drapés de nouveau dans leur mal, glorieux et vains, ils reprenaient, la sébile à la main, la route des caravanes et, au nom de leur dieu malpropre, rançonnaient les voyageurs.

Il fut un âge aussi où j’eus pitié des morts. Croyant que celui-là que je sacrifiais dans son désert sombrait dans une solitude désespérée, n’ayant point encore entrevu qu’il n’est jamais de solitude pour ceux qui meurent. Ne m’étant point heurté encore à leur condescendance. Mais j’ai vu l’égoïste ou l’avare, celui-là même qui criait si fort contre toute spoliation, parvenu à sa dernière heure, prier qu’autour de lui l’on rassemblât les familiers de sa maison, puis partager ses biens dans une équité dédaigneuse comme des jouets futiles à des enfants. J’ai vu le blessé pusillanime, le même qui eût hurlé pour appeler à l’aide au coeur d’un danger sans grandeur, une fois rompu véritablement, repousser d’autrui toute assistance s’il se trouvait que cette assistance eût fait courir à ses compagnons quelque péril. Nous célébrons une telle abnégation. Mais je n’ai trouvé là encore que signe discret de mépris. Je connais celui-là qui partage sa gourde quand déjà il sèche au soleil, ou sa croûte de pain à l’apogée de la famine. Et c’est d’abord qu’il n’en connaît plus le besoin et, plein d’une royale ignorance, abandonne à autrui cet os à ronger.

J’ai vu les femmes plaindre les guerriers morts. Mais c’est nous-mêmes qui les avons trompées! Tu les a vus rentrer, les survivants, glorieux et encombrants, faisant bien du tapage à crier leurs exploits, apportant, en caution du risque accepté, la mort des autres, mort qu’ils disent épouvantable, car elle aurait pu leur survenir. Moi-même ainsi, dans ma jeunesse, j’ai aimé autour de mon front cette auréole des coups de sabre reçus par d’autres. Je revenais, brandissant mes compagnons morts et leur terrible désespoir. Mais celui-là que la mort a choisi, occupé de vomir son sang ou de retenir ses entrailles, découvre seul la vérité — à savoir qu’il n’est point d’horreur de la mort. Son propre corps lui apparaît comme un instrument désormais vain et qui a fini de servir et qu’il rejette. Un corps démantelé qui se montre dans son usure. Et s’il a soif, ce corps, le mourant n’y reconnaît plus qu’une occasion de soif, dont il serait bon d’être délivré. Et tous les biens deviennent inutiles qui servaient à parer, à nourrir, à fêter cette chair à demi étrangère, qui n’est plus que propriété domestique, comme l’âne attaché à son pieu.

Alors commence l’agonie qui n’est plus que balancement d’une conscience tour à tour vidée puis remplie par les marées de la mémoire. Elles vont et viennent comme le flux et le reflux, rapportant, comme elles les avaient emportés, toutes les provisions d’images, tous les coquillages du souvenir, toutes les conques de toutes les voix entendues. Elles remontent, elles baignent à nouveau les algues du coeur et voilà toutes les tendresses ranimées.

Mais l’équinoxe prépare son reflux décisif, le coeur se vide, la marée et ses provisions rentrent en Dieu. Certes, j’ai vu des hommes fuir la mort, saisis d’avance par la confrontation. Mais celui-là qui meurt, détrompez-vous, je ne l’ai jamais vu s’épouvanter.

Pourquoi donc les plaindrais-je? Pourquoi perdrais-je mon temps à pleurer leur achèvement? J’ai trop connu la perfection des morts. Qu’ai-je côtoyé de plus léger que la mort de cette captive dont on égaya mes seize ans et qui, lorsqu’on me l’apporta, s’occupait déjà de mourir, respirant par souffles si courts et cachant sa toux dans les linges, à bout de course comme la gazelle, déjà forcée, mais l’ignorant puisqu’elle aimait sourire. Mais ce sourire était vent sur une rivière, trace d’un songe, sillage d’un cygne, et de jour en jour s’épurant, et plus précieux, et plus difficile à retenir, jusqu’à devenir cette simple ligne tellement pure, une fois le cygne envolé.

Mort aussi de mon père. De mon père accompli et devenu de pierre. Les cheveux de l’assassin blanchirent, diton, quand son poignard, au lieu de vider ce corps périssable, l’eut empli d’une telle majesté. Le meurtrier, caché dans la chambre royale, face à face, non avec sa victime, mais avec le granit géant d’un sarcophage, pris au piège d’un silence dont il était lui-même la cause, on le découvrit au petit jour réduit à la prosternation par la seule immobilité du mort.

Ainsi mon père qu’un régicide installa d’emblée dans l’éternité, quand il eut ravalé son souffle suspendit le souffle des autres durant trois jours. Si bien que les langues ne se délièrent, que les épaules ne cessèrent d’être écrasées qu’après que nous l’eûmes porté en terre. Mais il nous parut si important, lui qui ne gouverna pas mais pesa et fonda sa marque, que nous crûmes, quand nous le descendîmes dans la fosse, au long de cordes qui craquaient, non ensevelir un cadavre, mais engranger une provision. Il pesait, suspendu, comme la première dalle d’un temple. Et nous ne l’enterrâmes point, mais le scellâmes dans la terre, enfin devenu ce qu’il est, cette assise.

C’est lui qui m’enseigna la mort et m’obligea quand j’étais jeune de la regarder bien en face, car il ne baissa jamais les yeux. Mon père était du sang des aigles.

Ce fut au cours de l’année maudite, celle que l’on surnomma «le Festin du Soleil», car le soleil, cette année-là, élargit le désert. Rayonnant sur les sables parmi les ossements, les ronces sèches, les peaux transparentes des lézards morts et cette herbe à chameaux changée en crin. Lui par qui se bâtissent les tiges des fleurs avait dévoré ses créatures, et il trônait, sur leurs cadavres éparpillés, comme l’enfant parmi les jouets qu’il a détruits.

Il absorba jusqu’aux réserves souterraines et but l’eau des puits rares. Il absorba jusqu’à la dorure des sables, lesquels se firent si vides, si blancs, que nous baptisâmes cette contrée du nom de Miroir. Car un miroir ne contient rien non plus et les images dont il s’emplit n’ont ni poids ni durée. Car un miroir parfois, comme un lac de sel, brûle les yeux.

Les chameliers, lorsqu’ils s’égarent, s’ils se prennent à ce piège qui n’a jamais rendu son bien, ne le reconnaissent pas d’abord, car rien ne le distingue, et ils y traînent, comme une ombre au soleil, le fantôme de leur présence. Collés à cette glu de lumière ils croient marcher, engloutis déjà dans l’éternité ils croient vivre. Ils poussent en avant leur caravane là où nul effort ne prévaut contre l’inertie de l’étendue. Marchant sur un puits qui n’existe pas, ils se réjouissent de la fraîcheur du crépuscule, quand désormais elle n’est plus qu’inutile sursis. Ils se plaignent peut-être, ô naïfs, de la lenteur des nuits, quand les nuits bientôt passeront sur eux comme battements de paupières. Et, s’injuriant de leurs voix gutturales, à cause de tendres injustices, ils ignorent que déjà, pour eux, justice est faite.

Tu crois qu’ici une caravane se hâte? Laisse couler vingt siècles et reviens voir!

Fondus dans le temps et changés en sable, fantômes bus par le miroir, ainsi les ai-je moi-même découverts quand mon père, pour m’enseigner la mort, me prit en croupe et m’emporta.

«Là, me dit-il, il fut un puits.»

Au fond de l’une de ces cheminées verticales, qui ne reflètent, tant elles sont profondes, qu’une seule étoile, la boue même s’était durcie et l’étoile prise s’y était éteinte. Or, l’absence d’une seule étoile suffit pour culbuter une caravane sur sa route aussi sûrement qu’une embuscade.

Autour de l’étroit orifice, comme autour du cordon ombilical rompu, hommes et bêtes s’étaient en vain agglutinés pour recevoir du ventre de la terre l’eau de leur sang. Mais les ouvriers les plus sûrs, haies jusqu’au plancher de cet abîme, avaient en vain gratté la croûte dure. Semblable à l’insecte épingle vivant et qui, dans le tremblement de la mort, a répandu autour de lui la soie, le pollen et l’or de ses ailes, la caravane, clouée au sol par un seul puits vide, commençait déjà de blanchir dans l’immobilité des attelages rompus, des malles éventrées, des diamants déversés en gravats, et des lourdes barres d’or qui s’ensablaient.

Comme je les considérais, mon père parla:

«Tu connais le festin des noces, une fois que l’ont déserté les convives et les amants. Le petit jour expose le désordre qu’ils ont laissé. Les jarres brisées, les tables bousculées, la braise éteinte, tout conserve l’empreinte d’un tumulte qui s’est durci. Mais à lire ces marques, me dit mon père, tu n’apprendras rien sur l’amour.

«A peser, retourner le livre du Prophète, me dit-il encore, à s’attarder sur le dessin des caractères ou sur l’or des enluminures, l’illettré manque l’essentiel qui est non l’objet vain mais la sagesse divine. Ainsi l’essentiel du cierge n’est point la cire qui laisse des traces, mais la lumière.»

Cependant, comme je tremblais d’avoir affronté au large d’un plateau désert, semblable aux tables des anciens sacrifices, ces reliefs du repas de Dieu, mon père me dit encore:

«Ce qui importe ne se montre point dans la cendre. Ne t’attarde plus sur ces cadavres. Il n’y a rien ici que chariots embourbés pour l’éternité faute de conducteurs.

— Alors, lui criai-je, qui m’enseignera?»

Et mon père me répondit:

«L’essentiel de la caravane, tu le découvres quand elle se consume. Oublie le vain bruit des paroles et vois: si le précipice s’oppose  sa marche, elle contourne le précipice, si le roc se dresse, elle l’évite, si le sable est trop fin, elle cherche ailleurs un sable dur, mais toujours elle reprend la même direction. Si le sel d’une saline craque sous le poids de ses fardeaux, tu la vois qui s’agite, désembourbe ses bêtes, tâtonne pour trouver une assise solide, mais bientôt rentre en ordre, une fois de plus, dans sa direction primitive. Si une monture s’abat on fait halte, on ramasse les caisses brisées, on en charge une autre monture, on tire pour les amarrer bien sur le noeud de corde craquante, puis l’on reprend la même route. Parfois meurt celui-là qui servait de guide. On l’entoure. On l’enfouit dans le sable. On dispute. Puis on en pousse un autre au rang de conducteur et l’on met le cap une fois encore sur le même astre. La caravane se meut ainsi nécessairement dans une direction qui la domine, elle est pierre pesante sur une pente invisible.»

Les juges de la ville condamnèrent une fois une jeune femme, qui avait commis quelque crime, à se dévêtir au soleil de sa tendre écorce de chair, et la firent simplement lier à un pieu dans le désert.

«Je t’enseignerai, me dit mon père, vers quoi tendent les hommes.»

Et de nouveau il m’emporta.

Comme nous voyagions, le jour entier passa sur elle, et le soleil but son sang tiède, sa salive et la sueur de ses aisselles. But dans ses yeux l’eau de lumière. La nuit tombait et sa courte miséricorde quand nous parvînmes, mon père et moi, au seuil du plateau interdit où, émergeant blanche et nue de l’assise du roc, plus fragile qu’une tige nourrie d’humidité mais désormais tranchée d’avec les provisions d’eaux lourdes qui font dans la terre leur silence épais, tordant ses bras comme un sarment qui déjà craque dans l’incendie, elle criait vers la pitié de Dieu.

«Écoute-la, me dit mon père. Elle découvre l’essentiel…»

Mais j’étais enfant et pusillanime:

«Peut-être qu’elle souffre, lui répondis-je, et peut-être aussi qu’elle a peur…

— Elle a dépassé, me dit mon père, la souffrance et la peur qui sont maladies de l’étable, faites pour l’humble troupeau. Elle découvre la vérité.»

Et je l’entendis qui se plaignait. Prise dans cette nuit sans frontières, elle appelait à elle la lampe du soir dans la maison, et la chambre qui l’eût rassemblée, et la porte qui se fût bien fermée sur elle. Offerte à l’univers entier qui ne montrait point de visage, elle appelait l’enfant que l’on embrasse avant de s’endormir et qui résume le monde.

Soumise, sur ce plateau désert, au passage de l’inconnu, elle chantait le pas de l’époux qui sonne le soir sur le seuil et que l’on reconnaît et qui rassure. Étalée dans l’immensité et n’ayant plus rien à saisir, elle suppliait qu’on lui rendît les digues qui seules permettent d’exister, ce paquet de laine à carder, cette écuelle à laver, celle-là seule, cet enfant à endormir et non un autre. Elle criait vers l’éternité de la maison, coiffée avec tout le village par la même prière du soir.

Mon père me reprit en croupe, quand la tête de la condamnée eut fléchi sur l’épaule. Et nous fûmes dans le vent.

«Tu entendras, me dit mon père, leur rumeur ce soir sous les tentes et leurs reproches de cruauté. Mais les tentatives de rébellion, je les leur rentrerai dans la gorge: je forge l’homme.» Je devinais pourtant la bonté de mon père: «Je veux qu’ils aiment, achevait-il, les eaux vives des fontaines. Et la surface unie de l’orge verte recousue sur les craquelures de l’été. Je veux qu’ils glorifient le retour des saisons. Je veux qu’ils se nourrissent, pareils à des fruits qui s’achèvent, de silence et de lenteur. Je veux qu’ils pleurent longtemps leurs deuils et qu’ils honorent longtemps les morts, car l’héritage passe lentement d’une génération à l’autre et je ne veux pas qu’ils perdent leur miel sur le chemin. Je veux qu’ils soient semblables à la branche de l’olivier. Celle qui attend. Alors commencera de se faire sentir en eux le grand balancement de Dieu qui vient comme un souffle essayer l’arbre. Il les conduit puis les ramène de l’aube à la nuit, de l’été à l’hiver, des moissons qui lèvent aux moissons engrangées, de la jeunesse à la vieillesse, puis de la vieillesse aux enfants nouveaux.

«Car ainsi que de l’arbre, tu ne sais rien de l’homme si tu l’étalés dans sa durée et le distribues dans ses différences. L’arbre n’est point semence, puis tige, puis tronc flexible, puis bois mort. Il ne faut point le diviser pour le connaître. L’arbre, c’est cette puissance qui lentement épouse le ciel. Ainsi de toi, mon petit d’homme.

Dieu te fait naître, te fait grandir, te remplit successivement de désirs, de regrets, de joies et de souffrances, de colères et de pardons, puis Il te rentre en Lui. Cependant, tu n’es ni cet écolier, ni Cet époux, ni cet enfant, ni ce vieillard. Tu es celui qui s’accomplit. Et si tu sais te découvrir branche balancée, bien accrochée à l’olivier, tu goûteras dans tes mouvements l’éternité. Et tout autour de toi se fera éternel. Éternelle la fontaine qui chante et a su abreuver tes pères, éternelle la lumière des yeux quand te sourira la bien-aimée, éternelle la fraîcheur des nuits. Le temps n’est plus un sablier qui use son sable, mais un moissonneur qui noue sa gerbe.»

 

II

Ainsi, du sommet de la tour la plus haute de la citadelle, j’ai découvert que ni la souffrance ni la mort dans le sein de Dieu, ni le deuil même n’étaient à plaindre. Car le disparu si l’on vénère sa mémoire est plus présent et plus puissant que le vivant. Et j’ai compris l’angoisse des hommes et j’ai plaint les hommes.

Et j’ai décidé de les guérir.

J’ai pitié de celui-là seul qui se réveille dans la grande nuit patriarcale, se croyant abrité sous les étoiles de Dieu, et qui sent tout à coup le voyage.

J’interdis que l’on interroge, sachant qu’il n’est jamais de réponse qui désaltère. Celui qui interroge, ce qu’il cherche d’abord c’est l’abîme.

Je condamne l’inquiétude qui pousse les voleurs au crime, ayant appris à lire en eux et sachant ne point les sauver si je les sauve de leur misère. Car s’ils croient convoiter l’or d’autrui ils se trompent. Mais l’or brille comme une étoile. Cet amour qui s’ignore soi-même ne s’adresse qu’à une lumière qu’ils ne captureront jamais. Ils vont de reflet en reflet, dérobant des biens inutiles, comme le fou qui pour se saisir de la lune qui s’y reflète puiserait l’eau noire des fontaines. Ils vont et jettent au feu court des orgies la cendre vaine qu’ils ont dérobée. Puis ils reprennent leurs stations nocturnes, pâles comme au seuil d’un rendez-vous, immobiles de peur d’effrayer, s’imaginant qu’ici réside ce qui peut-être un jour les comblera.

Celui-là, si je le libère, demeurera fidèle à son culte et mes hommes d’armes écrasant les branches le surprendront demain encore dans les jardins d’autrui, plein du battement de son coeur et croyant sentir vers lui, cette nuit-là, la fortune fléchir.

Et certes je les couvre d’abord de mon amour, leur connaissant plus de ferveur qu’aux vertueux dans leurs boutiques. Mais je suis bâtisseur de cités. J’ai décidé d’asseoir ici les assises de ma citadelle. J’ai contenu la caravane en marche. Elle n’était que graine dans le lit du vent. Le vent charrie comme un parfum la semence du cèdre. Moi je résiste au vent et j’enterre la semence, en vue d’épanouir les cèdres pour la gloire de Dieu.

Il faut que l’amour trouve son objet. Je sauve celui-là seul qui aime ce qui est et que l’on peut rassasier. C’est pourquoi également j’enferme la femme dans le mariage et ordonne de lapider l’épouse adultère. Et certes je comprends sa soif et combien grande est la présence dont elle se réclame. Je sais la lire, qui s’accoude sur la terrasse, quand le soir permet les miracles, fermée de toutes parts par la haute mer de l’horizon, et livrée, comme à un bourreau solitaire, au supplice d’être tendre.

Je la sens toute palpitante, jetée ici ainsi qu’une truite sur le sable, et qui attend, comme la plénitude de la vague marine, le manteau bleu du cavalier. Son appel, elle le jette à la nuit tout entière. Quiconque en surgira l’exaucera. Mais elle passera vainement de manteau en manteau, car il n’est point d’homme pour la combler. Une rive ainsi appelle, pour se rafraîchir, l’épanchement des vagues de la mer, et les vagues se succèdent éternellement. L’une après l’autre s’use. A quoi bon ratifier le changement d’époux: Quiconque aime d’abord l’approche de l’amour ne connaîtra point la rencontre…

Je sauve celle-là seule qui peut devenir, et s’ordonner autour de la cour intérieure, de même que le cèdre s’édifie autour de sa graine, et trouve, dans ses propres limites, son épanouissement. Je sauve celle-là qui n’aime point d’abord le printemps, mais l’ordonnance de telle fleur où le printemps s’est enfermé. Qui n’aime point d’abord l’amour, mais tel visage particulier qu’a pris l’amour.

C’est pourquoi cette épouse dispersée dans le soir je l’expurge ou je la rassemble. Je dispose autour d’elle, comme autant de frontières, le réchaud, la bouilloire, et le plateau de cuivre d’or, afin que peu à peu, au travers de cet assemblage, elle découvre un visage reconnaissable, familier, un sourire qui n’est que d’ici. Et ce sera pour elle l’apparition lente de Dieu. L’enfant alors criera pour obtenir d’être allaité, la laine à carder tentera les doigts, et la braise réclamera sa part de souffle. Dès lors elle sera capturée et prête à servir. Car je suis celui qui bâtit l’urne autour du parfum pour qu’il demeure. Je suis la routine qui comble le fruit. Je suis celui qui contraint la femme de prendre figure et d’exister, afin que plus tard je remette en son nom à Dieu non ce faible soupir dispersé dans le vent, mais telle ferveur, telle tendresse, telle souffrance particulière…

Ainsi ai-je longtemps médité sur le sens de la paix. Elle ne vient que des enfants nés, que des moissons faites, que de la maison enfin rangée. Elle vient de l’éternité où rentrent les choses accomplies. Paix des granges pleines, des brebis qui dorment, des linges plies, paix de la seule perfection, paix de ce qui devient cadeau à Dieu, une fois bien fait.

Car il m’est apparu que l’homme était tout semblable à la citadelle. Il renverse les murs pour s’assurer la liberté, mais il n’est plus que forteresse démantelée et ouverte aux étoiles. Alors commence l’angoisse qui est de n’être point. Qu’il fasse sa vérité de l’odeur du sarment qui grille ou de la brebis qu’il doit tondre. La vérité se creuse comme un puits. Le regard, quand il se disperse, perd la vision de Dieu. En sait plus long sur Dieu que l’épouse adultère ouverte aux promesses de la nuit, tel sage qui s’est rassemblé, et ne connaît rien que le poids des laines. Citadelle, je te construirai dans le coeur de l’homme.

Car il est un temps pour choisir parmi les semences, mais il est un temps pour se réjouir, ayant choisi une fois pour toutes, de la croissance des moissons. Il est un temps pour la création, mais il est un temps pour la créature. Il est un temps pour la foudre écarlate qui rompt les digues dans le ciel, mais il est un temps pour les citernes où les eaux rompues vont se réunir. Il est un temps pour la conquête, mais vient le temps de la stabilité des empires: moi qui suis serviteur de Dieu, j’ai le goût de l’éternité.

Je hais ce qui change. J’étrangle celui-là qui se lève dans la nuit et jette au vent des prophéties comme l’arbre touché par la semence du ciel, quand il craque et se brise et embrase avec lui la forêt. Je m’épouvante quand Dieu remue. Lui, l’immuable, qu’il se rassoie donc dans l’éternité! Car il est un temps pour la genèse, mais il est un temps, un temps bienheureux, pour la coutume!

Il faut pacifier, cultiver et polir. Je suis celui qui recoud les fissures du sol et cache aux hommes les traces du volcan. Je suis la pelouse sur l’abîme. Je suis le cellier qui dore les fruits. Je suis le bac qui a reçu de Dieu une génération en gage et la passe d’une rive à l’autre. Dieu à son tour la recevra de mes mains, telle qu’il me la confia, plus mûrie peut-être, plus sage, et ciselant mieux les aiguières d’argent, mais non changée. J’ai enfermé mon peuple dans mon amour.

C’est pourquoi je protège celui qui reprend à la septième génération, pour la conduire à son tour vers la perfection, l’inflexion de la carène ou la courbe du bouclier. Je protège celui qui de son aïeul le chanteur hérite le poème anonyme et, le redisant à son tour, et à son tour se trompant, y ajoute son suc, son usure, sa marque.

J’aime la femme enceinte ou celle qui allaite, j’aime le troupeau qui se perpétue, j’aime les saisons qui reviennent. Car je suis d’abord celui qui habite. O citadelle, ma demeure, je te sauverai des projets du sable, et je t’ornerai de clairons tout autour, pour sonner contre les barbares!

 

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